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World news – BLOG – Il y a d’autres Navalny à soutenir en Russie pour sortir du système Poutine

L’absence de coordination des démocraties sur les lignes rouges permet à Poutine, mais aussi à Erdogan, de jouir d’un éventail d’outils de manipulation et de marchandage politique.

La Russie se voit déjà dans un monde post-covid-19, avec le vaccin Spoutnik V et les élections récentes. Pendant que l’Europe reste enfoncée dans une multitude de situations complexes, entre la pandémie de coronavirus, le Brexit, et la relance économique, le gouvernement russe essaie de consolider la transformation du système de gouvernance du pays, entamée avec la réforme de la Constitution de juin 2020. La France et l’UE doivent résister à l’appel de la realpolitik, et doivent définir les lignes rouges dont le franchissement appellerait automatiquement à des rétributions concrètes. Du discours officiel russe sur la situation avec Alexeï Navalny aux agissements de Poutine en Libye, tout porte à croire que la Russie compte profiter du dérèglement de l’ordre mondial pour empoisonner non seulement les gens, mais aussi les systèmes politiques entiers. 

Dimanche 13 septembre, dans 41 des 85 régions russes, les électeurs ont été appelés à élire des gouverneurs, des membres des parlements régionaux ou municipaux, et quatre députés de la Douma. Étendu sur trois jours pour cause de “sécurité sanitaire”, le vote a eu lieu dans une ambiance pesante de crise sociale, politique, économique, mais aussi celle de confiance envers Vladimir Poutine. Bien que certains des opposants, dont des proches d’Alexeï Navalny toujours hospitalisé à Berlin, ont pu accéder aux responsabilités, le vote n’a fait que renforcer la mainmise du parti de Poutine sur le pays. 

Alors que le président Macron a appelé le locataire du Kremlin cette semaine pour lui faire part de sa volonté d’obtenir une “clarification” sur l’affaire Navalny, qui empoisonne les relations avec la Russie de la même manière que l’opposant lui-même, Poutine a profité de son lundi pour voir Alexandre Loukachenko, le président biélorusse qui a été “élu”. La candidate malheureuse et la leader de l’opposition Svetlana Tikhanovskaïa a regretté que Poutine ait préféré le dialogue avec un “usurpateur” à celui avec “le peuple biélorusse”. 

Ces éléments sont troublants. Mais, avec tant d’autres, ils ne sont que les arbres qui cachent la forêt. 

Il y a peu de doutes chez les observateurs avisés que la crise du Covid-19, en brouillant les radars de la gouvernance, crée des opportunités pour beaucoup de changement. A côté de la réalité sanitaire, pas la plus joyeuse de l’histoire, les opportunistes de la géopolitique dont Poutine fait certainement partie, voient s’ouvrir un champ de possibles. 

L’école du “réalisme” dans les relations internationales veut qu’on ait à travailler avec ce qu’on a, et accepter la réalité telle qu’elle est. Une récente tribune des “réalistes” américains (dont trois anciens ambassadeurs à Moscou) dans le journal Politico le dit clairement: “nous devons travailler avec la Russie telle qu’elle est, pas celle que nous aimerions qu’elle soit”. Cet argument paraît faible pour au moins deux raisons. 

Premièrement, “la Russie” n’égale pas Poutine et son gouvernement. Il y a, contrairement aux apparences, des centres du pouvoir parallèles ou, au moins, des porteurs d’idées et d’idéaux alternatifs. Ils se situent à l’extérieur du pouvoir, mais toujours à l’intérieur de l’establishment, comme le sont par exemple Navalny et son équipe. Il existe en Russie une vraie société civile, même si elle est consolidée aujourd’hui davantage autour des questions sociales que politiques, poussée à l’extérieur de ces dernières par le pouvoir en place qui n’aime pas la concurrence. Nous pouvons, et devons, travailler avec ces gens pour assurer la croissance, en Russie, des visions du monde moins poutiniennes. 

Deuxièmement, les plus grandes avancées sociales, comme la démocratie, l’égalité, et autres, sont nés des courants qui n’étaient pas “réalistes”, mais idéalistes, voire naïfs. 

Avec la Russie —comme avec la Chine, l’Arabie Saoudite, ou même avec les Etats-Unis de Trump— il serait peut-être temps d’appliquer une sorte de “naïveté offensive”. Pas dans le sens où les grotesques arguments du Kremlin, comme le prétendu diabète de Navalny qui aurait causé son état, feront foi. Mais dans le sens où, une fois certaines lignes rouges franchies, on devra “ne pas comprendre” l’architecture “réaliste” des décisions géopolitiques. On devra alors opposer nos valeurs, considérées souvent comme “naïves”, et imposer les coûts —y compris à nous-mêmes— qui devront être supportés afin de préserver la cohérence morale de notre politique. 

Une des particularités de l’époque des réseaux sociaux et des fake news est que ce n’est plus vraiment important de savoir qui a commis tel ou tel acte. Ce qui importe, c’est à qui on pense en premier quand cet acte est commis. Les relations internationales dans leur version non-académique se présentent comme un enchevêtrement de facteurs complexes, mais la perception souvent simpliste du grand public devient une des forces régulatrices de la politique. La Russie, à cet égard, est un exemple parlant. Se voyant ainsi livré au tribunal de l’opinion mondiale, elle ne se défend guère: elle instille le doute, et continue à agir selon ses propres lugubres préceptes. 

Ce qui doit être puni par la communauté internationale et par la France, ce n’est donc pas l’empoisonnement de Navalny en soi —cette affaire devrait avoir sa résolution pénale, mais pas politique— mais la stratégie de déni constant dont Vladimir Poutine et ses média font usage. La “naïveté offensive” doit nous permettre d’adresser la fin de non-recevoir à la logique du marché politique, où la coopération (parfois même dans les formes les plus minimes) avec la Russie en Libye, en Syrie, ou par exemple dans le dossier iranien, s’achètent avec nos yeux fermés sur la multiplication de souffrances sinon perpétrées par le régime russe, du moins rendues possibles par le cadre moral qu’il avait instauré. 

Nous nous souvenons de ce que le revirement de Barack Obama dans l’histoire des armes chimiques syriennes a généré comme dégâts sur le long terme. L’absence de coordination sur les lignes rouges permet à Poutine, mais aussi à ses semblables comme Erdogan, de jouir d’un éventail très large d’outils de manipulation et de marchandage politique. La présence à la Maison Blanche d’un leader à géométrie morale très variable déboussole l’Occident, et la crise du Covid-19 crée un brouillard épais qui, comme l’espère certainement Moscou, rendra invisibles les crimes comme celui commis contre Navalny. La réaction européenne à ce dernier est encourageante —reste à voir si les graines du doute semées habilement par la Russie permettront, comme le veut l’espoir des “réalistes” du Kremlin, de limiter la réaction à la seule rhétorique. 

Restreindre le cadre dans lequel Vladimir Poutine —et ses jumeaux politiques— peuvent interagir avec nos sociétés occidentales est important, mais assurer la coopération décentralisée avec ceux des acteurs russes fédéraux et régionaux dont les valeurs s’alignent avec les nôtres, l’est tout autant. La coopération civile, le soutien aux médias indépendants et aux personnalités de la culture, sont cruciaux. Nous avons vu, en Biélorussie, l’opposition au président Loukachenko se réunir autour d’un ancien ministre de la culture du pays, autour du prix Nobel de la littérature, et bien sûr autour de Svetlana Tikhanovskaia, à la base “simple” femme du blogueur Sergueï Tikhanovski, emprisonné pour avoir voulu être candidat à l’élection présidentielle. Leurs homologues existent en Russie; Alexeï Navalny en fait partie, mais il est loin d’être seul. Il faut que nous soyons suffisamment “naïfs” pour leur faire confiance, sinon c’est eux qui ne nous feront pas confiance. 

L’appel téléphonique du président Macron à son homologue russe peut être un bon signe. Le réalisme politique est important, mais la défense des valeurs qui nous unissent, même si elle doit avoir un coût immédiat, est un investissement crucial —un investissement dans un avenir où les opposants au pouvoir, quels qu’ils soient, pourront boire tous les thés du monde sans crainte.

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SOURCE: https://www.w24news.com

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